Je recule quelques pas en arrière avant de répondre à la question qui, vous l’avez sans doute deviné, ne se répond pas par un simple oui ou non.
Je suis coach AIP (autoimmune protocol) depuis 2017 et j’ai une maladie auto-immune (le lupus érythémateux disséminé) et ce, depuis 2012. Dès le diagnostic, j’ai cherché comment je pouvais avoir un certain contrôle sur les symptômes de la maladie. À l’époque, j’étais étudiante au Doctorat en psychologie, codirigée en nutrition, avec un intérêt marqué (et une expertise en devenir) pour les troubles alimentaires (anorexie nerveuse, boulimie nerveuse, hyperphagie boulimique et troubles alimentaires non spécifiés (voir critères diagnostiques du DSM-V pour une description détaillée)).
C’est en 2016 que Dre Albert m’a parlée de l’AIP. Bien que j’y voyais un grand espoir compte tenu de la base scientifique solide de l’approche, une partie de moi était réticente. En effet, j’ai évolué pendant mes études doctorales au sein d’un Laboratoire de recherche et d’une clinique d’intervention dont la philosophie était basée sur la non-restriction. Je connaissais de fond en comble les effets potentiels néfastes de la restriction sur les comportements alimentaires et le bien-être, notamment. Mes connaissances (et mes valeurs) incluaient, entre autres, l’alimentation intuitive, l’acceptation de la diversité corporelle et la promotion d’une alimentation saine et diversifiée, sans aliments interdits. En même temps, je voyais le potentiel de cette approche et j’avais envie d’aller mieux : j’étais en dissonance cognitive.
J’ai donc beaucoup réfléchi afin de prendre une décision éclairée par rapport à si j’allais faire ou non l’approche AIP. Éventuellement, je fus également confrontée à décider si j’allais devenir coach AIP, lorsque Dre Albert m’a offert d’accompagner ses patient.es comme coach AIP. Je présente donc de façon synthétique le fruit de quelques une de mes réflexions afin de répondre à la question à savoir si la restriction engendrée par l’AIP peut nuire à l’individu et, plus spécifiquement, causer un trouble du comportement alimentaire.
D’abord, il faut savoir que l’AIP est une approche spécialisée pour les gens ayant une ou des maladies auto-immunes. C’est donc dans ce contexte particulier, et non pour quiconque, que cette démarche doit être entreprise.
Également, le but de l’approche est d’en arriver à la diète la moins restrictive possible et qui mène à la meilleure santé possible. En d’autres termes, la phase d’élimination est prévue pour durer un temps limité et des réintroductions sont entreprises en continue de façon à avoir le moins d’aliments possibles interdits, tout en conservant une santé optimale. La restriction excessive est donc proscrite.
Qui plus est, l’approche vise l’introduction d’une grande variétés d’aliments et ce, sans restriction au niveau des quantités. On vise des assiettes équilibrées incluant des aliments variés et denses nutritivement. L’ajout de ces aliments (p.ex. bouillon d’os, abats, légumes de toutes les couleurs, grande variété de gras, etc.), et non seulement le retrait des aliments susceptibles d’être problématiques, est associé à l’efficacité de l’approche. On mange bien et beaucoup, afin de nourrir le corps d’une variété de nutriments et soutenir les processus de réparation.
Enfin, le bien-être doit nécessairement être la priorité numéro un. Bien qu’il y ait un stress normal et des adaptations importantes à faire en début de parcours, une fois les principales notions acquises, il est important de faire de son mieux, sans chercher la perfection, dans une approche douce et indulgente envers soi.
L’AIP ne doit pas devenir un stresseur de plus, mais bien un outil pour viser un meilleur bien-être. À travers le coaching, il n’est pas rare que je doive aider les gens à conserver cet état d’esprit et cet équilibre, trouble alimentaire passé ou non. Comme je dis souvent, le but n’est pas de « performer son AIP », mais plutôt de viser le bien-être et l’équilibre. L’AIP devient un moyen concret et fort efficace d’y parvenir.
Par ailleurs, il est vrai que l’approche inclut une restriction importante (aliments à éviter) qui peut précipiter, chez certaines personnes, des comportements alimentaires problématiques, voire engendrer des troubles alimentaires. En effet, chez certaines personnes vulnérables, le fait de créer une restriction peut mener à des obsessions et des comportements alimentaires problématiques.
La question de savoir si l’AIP peut causer un trouble alimentaire est donc tout à fait légitime.
D’abord, il faut savoir que les causes des troubles alimentaires sont multifactorielles et nombreuses : l’approche AIP ne peut être tenue responsable à elle seule du développement d’un trouble alimentaire, bien qu’elle puisse y contribuer à cause de la restriction (aliments à éviter) qui lui est inhérente. Si une personne qui fait l’AIP développe un trouble alimentaire, il y avait forcément un terreau fertile.
Je recommande donc, avant d’entreprendre une telle approche, d’évaluer la présence de facteurs de risque chez vous (personnellement, j’évalue le tout à la première rencontre de coaching). Il est à noter que les listes présentes dans l’article ne sont pas exhaustives et que les listes complètes pourront être consultées aux adresses indiquées du National Eating Disorders Association (NEDA).
Facteurs de risque au développement d’un trouble alimentaire (https://www.nationaleatingdisorders.org/risk-factors)
Avoir un parent proche atteint d’un trouble alimentaire ou d’un autre trouble de santé mentale
Avoir un historique de diètes
Restriction des apports caloriques
Perfectionnisme comme trait de personnalité
Insatisfactions de l’image corporelle et/ou du poids
Rigidité comme trait de personnalité
Avoir subi de l’intimidation et/ou de la stigmatisation à l’égard du poids
Normes culturelles de minceur
Avoir un réseau social pauvre
Etc.
S’il y a présence de facteurs de risque, il importe d’effectuer une balance décisionnelle afin d’évaluer les avantages et risques potentiels à s’engager dans une telle approche, en plus de surveiller l’apparition de certains signes, encore plus chez les personnes ayant un historique de trouble alimentaire (diagnostiqué ou non).
Signes pouvant indiquer la présence ou le développement d’un trouble alimentaire *Les signes qui recoupent les symptômes possibles des maladies autoimmunes n’ont pas été retenues pour cette liste indicative
Préoccupations excessives pour le poids et la forme corporelle
Préoccupations excessives pour les aliments, les calories, les graisses, etc.
Restriction dans les quantités d’aliments consommés ou encore retrait de certains aliments ou groupes d’aliments
Rituels alimentaires
Sauter des repas ou manger de faibles portions aux repas
Vérifications fréquentes quant au poids et à la forme corporelle
Difficulté à manger en présence d’autres personnes
Fluctuations importantes du poids
Vomissements, usage de laxatifs ou exercice excessif dans le but de perdre du poids
Consommation de quantités excessives d’aliments en un court laps de temps
Menstruations irrégulières ou aménorrhée
Etc.
Pour les personnes à risque de développer un trouble alimentaire ou pour celles ayant un historique d’un tel trouble, l’AIP peut également être introduite de façon graduelle et sur une plus longue période et s’accompagner d’un suivi conjoint spécialisé (p.ex. avec un.e psychologue spécialisé.e pour ces problématiques).
Pour les gens ayant des symptômes actifs ou ayant un diagnostic de trouble alimentaire, il est préférable d’effectuer d’abord un suivi spécialisé pour stabiliser la maladie avant de penser entreprendre des changements alimentaires importants, car l’AIP pourrait nourrir et exacerber les symptômes et ainsi nuire au bien-être.
Dans tous les cas, je recommande, si l’on présente une vulnérabilité ou un historique de trouble alimentaire, d’être accompagné.e d’un.e coach AIP afin non seulement qu’elle ou il puisse déceler les potentielles obsessions ou comportements alimentaires problématiques, mais également pour trouver des pistes de solutions pour ces obstacles au fur et à mesure qu’ils se présentent. Il est à noter qu’à moins d’être médecin ou psychologue, la ou le coach ne peut traiter le trouble alimentaire à l’aide d’un suivi thérapeutique.
Les troubles des comportements alimentaires sont des problématiques de santé mentale complexes et ayant des causes multifactorielles. Comme le but était d’écrire un article de blogue et non un chapitre de livre (j’ai dû me ramener à quelques reprises), je n’ai pas pu aborder toutes les nuances inhérentes aux questionnements évoqués ni aux particularités de chaque type de trouble alimentaire, mais n’hésitez pas à m’écrire au melodiedaoustaip@gmail.com si certains de vos questionnements n’ont pu être répondus, il me fera plaisir de poursuivre la discussion avec vous !
Voici des guides de ressources par pays si vous croyez souffrir d’un trouble alimentaire et êtes prêt.e à recevoir de l’aide.
Article rédigé par Mélodie Daoust, Coach AIP.
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